TERRIER-Rouge en 1896 l' Église et le Vodou à Terrier-Rouge by BOOMBA LIBERTAIRE
Terrier-Rouge, 1896 : L’Affrontement entre l’Église et le Vodou
L’histoire de l’abbé Dumas à Terrier-Rouge est l’un des épisodes marquants de la lutte de l’Église catholique contre le Vodou en Haïti. À la fin du XIXe siècle, alors que le clergé s’efforçait d’établir son autorité dans les campagnes, il se heurtait à des pratiques et croyances profondément enracinées dans la culture locale. Dans ce contexte tendu, certains événements prirent une tournure dramatique, révélant les tensions entre la foi chrétienne et les traditions religieuses africaines héritées de l’esclavage.
Parmi ces épisodes, celui de l’abbé Dumas et de Madame Kolane à Terrier-Rouge est emblématique. L’abbé Dumas, fraîchement nommé responsable de la paroisse Saint-Pierre, se heurta rapidement à des résistances inattendues. Ce n’étaient pas seulement les houngans et les mambo qui voyaient en lui une menace, mais aussi des figures influentes de la communauté, non pratiquantes du Vodou, qui s’opposaient à la rigidité de l’Église face aux coutumes locales.
L'Arrivée de l'Abbé Dumas et les Tensions Croissantes
L’abbé Dumas, missionnaire dévoué, arriva à Terrier-Rouge avec la ferme intention d’éradiquer ce qu’il appelait « les superstitions païennes ». Dès ses premiers jours, il entreprit une série de réformes visant à renforcer la foi catholique :
Il refusa de baptiser les enfants si leurs parrains ou marraines étaient soupçonnés de fréquenter des cérémonies vodou.
Il dénonça publiquement les rites pratiqués la nuit sous les grands fromagers, où tambours et chants faisaient vibrer la plaine.
Il interdit aux fidèles d’acheter des remèdes auprès des guérisseurs traditionnels, affirmant que seule la prière pouvait guérir.
Ces mesures lui valurent l’inimitié de nombreux habitants. Toutefois, c’est un incident précis qui déclencha une confrontation ouverte.
L’Incident du Baptême Refusé
Un jour, un homme inconnu entra chez l’abbé Dumas et lui demanda d’être accepté comme parrain pour un baptême. Le prêtre remarqua immédiatement les cheveux tressés de l’homme, signe distinctif des pratiquants vodou. Soupçonneux, il lui demanda de retirer son chapeau, ce qu’il fit à contrecœur.
« Vous savez bien que je ne peux vous admettre à aucune cérémonie », déclara sèchement l’abbé.
L’homme, furieux, insista :
« Je veux être le parrain de cet enfant et je viendrai à l’église quoi qu’il arrive. »
Mais l’abbé fut intransigeant :
« Si vous venez, il n’y aura pas de baptême. »
Le lendemain, l’homme se présenta à l’église avec la famille du nourrisson. Fidèle à sa parole, l’abbé refusa de célébrer la cérémonie. L’homme quitta l’église en murmurant une menace :
« Père Dumas, vous me le paierez. Je me vengerai. »
Le Poison du Sorcier et la Déchéance du Prêtre
Quelques jours plus tard, sur le marché de Terrier-Rouge, la servante du prêtre acheta une poule à un vendeur mystérieux. Ce dernier refusa plusieurs acheteurs avant d’accepter immédiatement l’offre de la domestique.
Le 1er octobre 1894, la poule fut servie au presbytère. L’abbé Dumas en mangea sans méfiance, tout comme un jeune domestique. Mais peu après, il ressentit un violent malaise.
Alors qu’il prêchait pour l’ouverture du mois du Rosaire, il s’effondra en pleine chaire. Pris de vertiges, de vomissements et de sueurs, il dut être ramené au presbytère. Le jeune domestique tomba également malade, et la chienne du prêtre, qui avait mangé les restes de la poule, mourut peu après, ainsi que ses petits.
L’abbé comprit alors qu’il avait été empoisonné.
Madame Kolane et l’Ultimatum
Parmi les figures influentes de Terrier-Rouge se trouvait Madame Kolane, une femme respectée pour sa sagesse et son franc-parler. Elle n’était pas vodouisante, mais elle voyait d’un mauvais œil la manière dont l’abbé Dumas imposait ses règles et humiliait publiquement certaines familles.
Lorsque la fille d’une voisine devait être baptisée, on demanda à Madame Kolane d’être la marraine. Elle refusa immédiatement :
« Non ! Si c’est ce prêtre qui fait le baptême, je ne veux pas y être associée. »
Puis, s’adressant directement à l’abbé, elle déclara :
« Vous avez cinq jours pour quitter la paroisse Saint-Pierre. »
Ses paroles résonnèrent comme un jugement irrévocable.
Les jours suivants, l’hostilité à l’encontre de l’abbé Dumas se fit plus intense. Les fidèles commencèrent à déserter l’église, certains murmurant que le prêtre avait offensé les esprits du pays. Le presbytère fut la cible de jets de pierres durant la nuit, et plusieurs personnes refusèrent de recevoir les sacrements de sa main.
Sentant que la situation devenait dangereuse, l’évêché finit par rappeler l’abbé Dumas, qui quitta Terrier-Rouge sous les regards à la fois curieux et soulagés des habitants.
Une Histoire de Conflit, Pas de Croyance
Cette histoire montre que la lutte entre l’Église catholique et le Vodou en Haïti n’était pas seulement une question de foi, mais aussi de pouvoir et de respect des traditions.
Madame Kolane n’était pas une pratiquante du Vodou, mais elle s’opposa à l’abbé Dumas parce qu’elle voyait en lui un homme intransigeant, incapable de comprendre la complexité de la culture locale. À travers elle, de nombreuses voix s’élevèrent pour dire que ce n’était pas à un étranger d’imposer brutalement ses croyances sans respecter celles des autres.
L’expulsion de l’abbé Dumas de Terrier-Rouge en 1896 fut donc moins une victoire du Vodou sur le christianisme qu’un rappel puissant : dans cette terre marquée par l’histoire et les traditions, toute autorité doit apprendre à écouter avant d’imposer.
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