De la zombification en Haïti : le capitalisme, la religion et l’Etat comme dispositif et la révolution comme alternative d’émancipation.



De la zombification en Haïti : le capitalisme, la religion et l’Etat comme dispositif et la révolution comme alternative d’émancipation.


Contexte
Le politique comme phénomène n’a pas toujours existé. L’explication de son origine est l’affaire de multiple controverses. On ne va pas pourtant en faire de grand étalage. En effet, la nécessité du politique comme phénomène remonte, d’après Aristote, à deux causes : l’instinct grégaire et le désir de régulation. D’ailleurs, il a écrit et on cite : « l’homme est un animal politique ». Dans ce contexte, l’instinct grégaire est inscrit dans la nature de l’homme. Il est à l’ origine du phénomène politique, car les hommes ont le désir de rester dans un environnement connu, auprès de qui on peut trouver de l’aide, secours et assistance.
A partir de l’instinct grégaire, l’homme cherche la compagnie. D’où la naissance de la première forme d’organisation sociale : « la cité ». Cette dernière est instaurée pour fournir à l’homme les meilleures conditions d’épanouissement de l’existence humaine. A cet effet, la cité ne peut se réduire à l’idée de survie, voire à celle de satisfaction des besoins primordiaux. Comme le dit Aristote, la cité n’a pas pour finalité de permettre à l’homme de vivre, mais de vivre bien. Cela ne signifie pas vivre dans le luxe ou le bien-être matériel mais vivre dans des conditions qui permettent le développement de toutes les facultés proprement humaines. Ce faisant, la cité donne naissance à des ayants droits qui ont aussi des devoirs.
Pour répondre à cette exigence, on crée l’administration publique qui est un centre de service qui devrait contourner autour de la justice sociale afin de garantir plus de bien-être possible et qui conduit à la dignité humaine. Cependant, dans certain régime politique où le pouvoir est l’apanage d’un petit nombre d’hommes, la cité est une forme qui permet à quelques-uns de peser sur le destin de la communauté. Ainsi, il arrive certaines fois que c’est un petit groupe qui jouit des droits au détriment de la dignité de la grande masse d’où l’invisibilité d’un autre groupe. Autrement dit, c’est la zombification d’un groupe majoritaire par un groupe minoritaire.
En effet, zombification ne s’emploie pas ici pour se référer aux pratiques sorcières mais il s’agit bien de la zombification prise au sens politique du terme. Pour élucider ce point de vue, nous aurons à étaler sur, d’abord, les dispositifs de zombification, puis, de la zombification proprement dite.
Les dispositifs de zombifications
Le capitalisme ou l’esclavage moderne
L’esclavage est généralement appréhendé comme une étape dans l’histoire des civilisations dépassée; mais il est réemployé comme métaphore ou paradigme de la domination de l’homme par l’homme (1). La plupart des théoriciens (Hobbes, Hegel, Rousseau) de l’état de droit minimisent l’ampleur de la pratique de l’esclavage moderne dans le monde. Cependant, cette pratique est de taille dans le monde, notamment dans les Caraïbes, et plus particulièrement en Haïti.
Pour étayer cette approche de l’esclavage moderne, deux théories ont été avancées jusqu’ici (2). La première tourne autour de l’argument économique de la rentabilité et la seconde autour du racisme. En effet, l’esclavage est appréhendé comme mode de production destiné à être aboli à cause des entraves qu’il met au développement des forces productives et à l’accroissement du taux de profit. La seconde voit dans le racisme l’ultime fondement de la pratique esclavagiste. Cette pratique est mise en évidence par le travail et le racisme. Comment?
1.1 Le travail
Littéralement, le travail signifie tripalium qui veut dire châtiment. Au moyen-âge, le travail était un châtiment et la paresse une vertu. Mais, avec la naissance du capitalisme au XVIe siècle, le travail allait être valorisé surtout avec la législation sur la mendicité (3). Au XXIe siècle, l’établissement des marchés ont transformé la force de travail en une marchandise. Le travail devient, dans une certaine manière, le rapport de transformation de la nature par l`homme au moyen des instruments et des techniques. Par conséquent, le travail est un rapport d’instrumentalisation. Autrement dit, c’est le rapport de chosification de la nature ou par extension de l`homme. Donc, dans le processus de l’enrichissement, l’homme est réifié.
En Haïti, la forme instrumentale de cette réification se trouve, à plus fort pourcentage, dans les industries. C’est le lieu de la réalisation de la plus-value par excellence. Par exemple, dans le Parc Industriel de Caracol (PIC), on impose aux ouvriers une quantité de travaux qui vont non seulement au-delà de ce que devraient être les prestations journalières mais aussi au-delà de la quantité d’argent reçue. Ce dernier est une pitance qui ne peut répondre même à la reproduction des forces de travail. Ainsi, on réduit les ouvriers à vivre au simple besoin de leurs ventres. Les droits dits fondamentaux ne sont pas respectés. En conséquence, ils n’évoluent pas dans des conditions humainement dignes (4). Leurs conditions de travail ressemble ou est celle dans laquelle végètent les esclaves. On place des superviseurs qui hèlent sur leurs têtes afin de travailler sans relâche. Dans ces conditions, on produit chez lui une amnésie culturelle dont il sortira zombi, mort-vivant totalement soumis aux caprices et autres humeurs du maitre (5), comme ce fut le cas pour les esclaves.
A côté de la plus-value, le capitalisme comme la modernisation de l’esclavage se manifeste aussi dans les systèmes d’échanges transnationaux (6). Ces derniers s’effectuent par les migrations massives vers des centres d’accumulation capitaliste reposant sur la vente libre des forces de travail. Ce qui ne va pas sans la moindre conséquence sur les pays exportateurs de la force de travail. Les effets sont mesurables par :
  • La tendance à dévaluer la signification du facteur « force de travail » pour le développement dans ces pays;
  • La perte d’une force de travail jeune et souvent qualifiée;
  • L’altération de la structure démographique à long terme, pénurie de travail en plein cœur de saisons agricoles;
  • La désintégration de l’économie rurale et stimulation à l’importation des biens alimentaires etc.. (7)
Pour Sassen-Koob, l’exportation de la force de travail ne réduit pas le chômage, elle peut même l’aggraver en déséquilibrant les économies régionales et sectorielles. Les transferts de fonds effectués par les immigrés dans leur pays d’origine sont surtout réinvestis à des fins de consommation et non pas dans des activités productives à stimuler la croissance économique ; ils stimulent la demande pour les biens importés à partir des pays capitalistes avancés au détriment des industries nationales et ont des effets inflationnistes (8). Donc, loin d’égaliser le fossé entre les nations, les migrations participent à creuser de plus en plus la division internationale du travail, base de la domination de certaines nations sur d’autres.
En effet, à l’échelle internationale, nous avons une Haïti zombifiée. La situation haïtienne prouve ce constat. Malgré la quantité de force de travail haïtien emmigré vers d’autres pays du monde, la situation socio-économique du pays reste en stagnation. Lorsqu’il y a floraison de saison, on ne trouve pas de forces productives pour produire afin de remonter la situation économique du pays. Ce faisant, tout ce que nous consommons nous vient de l’extérieur.
Il est indignant de remarquer l’explosion agricole de nos voisins dominicains, laquelle se réalise avec la force de travail de nos citoyens haïtiens qui, pourtant, peuvent travailler pour l’avancement de leur propre compte. Certains de ces pays (les Etats-Unis ; la République dominicaine) exercent une domination incommensurable sur Haïti. Le fait que nous sommes dépendants d’eux ne donne lieu que d’une relation de maitre à esclave. Leurs volontés sont nos ordres (nou oblije ap fè koutay yo pou yo pa pran sanksyon kont nou). Le vote d’Haïti contre le Venezuela en est la preuve.
Du racisme à l’aliénation
Le racisme est donc une forme de domination basée sur la race. En fait, pour les racistes, les êtres humains sont différents selon qu’ils appartiennent à une race ou une autre. Comme ils sont différents, ils ne sont pas égaux. Il y a donc des supérieurs et des inferieurs. Pour mieux comprendre la manifestation du racisme en Haïti, il nous faut remonter à l’époque coloniale. En effet, avec la conquête du monde, l’Amérique a étonné Christophe Colomb. La richesse que ce continent possédait l’intéresse, et faute de la quantité de bras pour en explorer, on monte l’échafaud de l’esclavage. Cette expérience n’allait pas sans effet sur la dite société.
Cette société, couramment, les historiens la peignent comme une société dominée, structurée même, par le mépris des Blancs envers les Noirs, où au nom de ce que l’on appelle le préjugé de couleur, on circonspecte plus les hommes à une teinture plus ou moins claire. Ces propos en sont la preuve : « Partout ailleurs, l’espèce humaine se divise en deux classes » (9). (…) « C’est ici la couleur de la peau qui, dans toutes les nuances du blanc au noir, tient lieu de distinctions du rang, du mérite, de la naissance des honneurs et même de la fortune : de sorte qu’un Nègre, dût-il prouver sa descendance directe du roi Nègre qui vint adorer Jésus-Christ dans la crèche: dût-il joindre au génie d’une intelligence céleste, tout l’or que renferme la terre, ne sera jamais aux yeux du plus chétif, du plus pauvre, du plus sot, du dernier des Blancs, que le dernier des hommes, un vil esclave, un Noir » (10).
Cette expérience crée une sorte de dépossession de soi chez l’homme noir. En fait, à force d’incorporer le discours et d’accepter cette condition de vie, ils deviennent des aliénés. Ils tiennent pour leur seul miroir l’homme blanc. C’est pourquoi, les hommes qui envoient leurs enfants faire des études à l’étranger, qui les procurent un luxe analogue à celui des blancs, ne considèrent pas comme descendants d’africains mais ils veulent plutôt être blanchis et reconnus officiellement pour blancs. C’est bien le cas du phénomène de la dépigmentation.
Si le libéralisme économique chosifie les Haïtiens tant sur le plan national qu’international et les exploite, d’autres dispositifs comme : l’Etat et la religion sont non seulement créateurs des zombis mais constituent également des dispositifs de sauvegarde de la pratique de la domination de l’homme par l’homme ou l’esclavage moderne.
2. L’Etat
Garant des droits individuels, l’Etat se donne pour une puissance souveraine à laquelle l’individu se soumet librement, sous peine de déchoir dans l’animalité. C’est dire que l’ordre politique devient le seul ordre possible de déploiement de la raison (11). A cet effet, l’Etat se voit comme le lieu où se réalise l’intérêt général et il a donc pour mission l’accomplissement des valeurs de la raison, de justice, de l’égalité et de l’ordre. Cependant, à autre vue, pour Marx et certains marxistes, l’Etat est un produit historique et qu’il est l’instrument de la classe dominante (12). Donc, sa logique de fonctionnement est déterminée par des intérêts de classe. Par conséquent, au regard de cette paire de lunette, on peut comprendre qu’il y a ceux qui sont visibles aux yeux de l’Etat et ceux qui ne le sont pas.
En fait, dans un contexte des sociétés industrielles, l’Etat serait donc, le comité exécutif de la bourgeoisie. Ainsi, la démocratie libérale n’est qu’un trompe-l’œil, c’est-a-dire la dictature de la bourgeoisie (13). A cet effet, l’Etat, au lieu d’être garant de l’intérêt général et des droits individuels, est au contraire, dans bien des cas, le violateur des droits par excellence et au service d’un petit groupe.
De là, ne revient-on pas à se demander : si ce n’est pas dans cette mesure que l’Etat haïtien participe dans la montée de cette structure animalisante en Haïti ?
3. La religion
Importé par conquête du monde depuis 1492, à cette époque, le catholicisme prétendait apporter aux Indiens la connaissance du vrai Dieu. Depuis 1860, un régime concordataire lie Haïti à cette religion. A la veille du concile Vatican II, l’Eglise orientait sa pastorale particulièrement vers la lutte contre les pratiques et les croyances du vodou, qu’elle tenait pour un amas de superstitions maintenant Haïti dans un stade de primitivité et de barbarie. Ce faisant, l’Eglise qui travaillait, depuis la colonisation, pour le maintien de la domination des blancs sur les noirs, continuent toujours dans cette lignée en se structurant à travers des idées qui engendrent la prédominance de la culture européenne sur la culture haïtienne (le vodou) tenue comme mauvaise.
Les églises protestantes sont plus virulentes que l’Eglise catholique dans la lutte contre le vodou, elles obtiennent un succès grandissant dans les couches sociales des bidonvilles, en quête de mobilité sociale et disposés à réinterpréter le vodou comme source principale des malheurs des Haïtiens (14). Rappelons toutefois, que le catholicisme assure le maintien de l’esclavage du temps de la colonie alors que le vodou lutte contre cette pratique, contre cette pratique inhumaine.
En fait, tous ces dispositifs susmentionnés participent grandement dans la naissance et la perduration du spectre de la zombification en Haïti.
4. De la zombification en Haïti
La zombification est, selon le Prof Edelyn Dorismond, l’ultime création du capitalisme et de la modernité asservissante qui témoigne de la prégnance de la dynamique biologisant de la vie collective réduite au confinement du vivre aux besoins primaires (15). De manière plus claire, une ressource anthropologique disponible dans l’imaginaire du pouvoir haïtien circulant dans toutes les sphères de la société sous des formes diverses, devient en œuvre de pratiques animalisantes (16).
En effet, au sein de la société haïtienne il y a des insignifiants, des êtres apparemment dits des ayants droits. Ces derniers, déjà victimes de leur couleur (17), végètent en dehors de toute possibilité d’émergence et de toute descendance, de plus, ils sont successeurs des austérités de diverses sortes qui les ajustent et les bordent dans l’abysse de la structure sociale, dans des espaces quasiment dépourvues de toute dignité humaine.
Or, partant de l’idée que tout être humain possède quelque chose naturellement digne à estimer (droits humains), on peut affirmer que l’Haïtien a aussi quelque chose naturellement digne de valeur. Cependant, la bourgeoise haïtienne, la communauté internationale et l’Etat se font complice d’un dispositif de vampirisation aboutissant à la dépossession de l’Haïtien. Ce dispositif de vampirisation ou tout au moins cannibalisme se matérialise par une certaine altérisation, c’est-à-dire par l’institution d’une forme d’autre entrainant soit une infériorisation soit minorisation. De là, l’exploitation est la conséquence ultime.
A force d’être infériorisé, on passe à la dénégation de soi sans s’en rendre compte. D’où l’aliénation. Ainsi, ils arrivent à convaincre l‘Haïtien que sa spiritualité est de la sorcellerie, son avenir n’est qu’un trompe-l’œil et cette situation de vie infernale lui est intrinsèquement liée. Voyons!
Avec, le capitalisme cette pratique de zombification se fait à travers les usines où on exploite la force de travail des haïtiens sans qu’ils n’aient droit à aucune garantie de sécurité. En Haïti, par exemple, on a une bourgeoisie de soutraitance. Cette dernière, sachant qu’il y a la bourgeoisie internationale qui lui talonne, en bon sangsue, purge la masse pour tirer le maximum de bénéfice possible même en le dépouillant de tout pour garder son statut de dominants. Ensuite par le processus de travailleurs emmigrés, les capitalistes internationaux, accueillent les forces productives haïtiennes et sont à la base d’une carence de force productive pour produire afin de développer l’économie haïtienne. Réfléchissant sur le capitalisme, Achille Mbembe a pu écrire dans Critique de la raison Nègre que « la modernité à travers le capitalisme arrive à faire du « Nègre » un homme-objet, un homme-marchandise et inflige à ce substantif un être exclu » (18). C’est ce qui est en train de se matérialiser en Haïti. Donc, victimes de l’injustice sociale échafaudée par l’Etat, abusées et exploitées par les capitalistes, les masses sont débusquées et également paupérisées.
Le racisme, intrinsèquement lié à toute condition d’exploitation, est créé dans l’idée d’amoindrir et de persiffler les exploités. Il est un résultat des rapports économiques et ayant des conséquences socioéconomiques. D’ailleurs, Jean Luc dans son essai Structures économiques et luttes nationales populaires en Haïti, montre que l’idéologie raciste est à la fois un préjugé de race et de couleur ; ce qui amène à une situation où le prestige social devient proportionnel à la teinte plus ou moins claire de la peau (19). Ainsi, le sens populaire haïtien ne s’y trompe pas d’ailleurs. Un proverbe local affirme : «nèg rich se milat, milat pòv se rich ». Et, à force de sombrer dans la dénégation provoquée par le racisme, on passe à l’appréciation excessive de l’autre, dans le sens que l’autre devient source de légitimation. Le clameur publique ne se conforme d’ailleurs à cette idée d’ailleurs : « Nou Ayisyen kisa nou ka fè ? ». Par exemple : l’Organisation des Etats Américains (OEA) devient source de légitimation des élections en Haïti.
Rappelons toutefois, que la religion a, à travers tout le pays, un réseau d’activités et un pouvoir de communication dont l’impact sur la population est assez puissant. Parmi lesquels, on peut citer : Les paroisses ; les chapelles rurales ; écoles primaires, écoles secondaires ; écoles presbytérales ; les hôpitaux et les dispensaires etc. elle travaille assez dur pour orienter et façonner psychologiquement la population. À travers des discours et des idéologies qu’elle émet, la religion permet la perduration de la zombification. Elle convie tout un chacun à accepter leurs sort. Ceci est remarquable dans certains discours comme : « pito nou lèd nou la », « pito ou pov sou latè nou rich nan syèl la ». Autrement dit, à accepter la domination d’une classe : « renmen moun ki fè nou tò ».
La religion est aussi à la base de la crise d’identité culturelle et d’un lien social entre les haïtiens. Chacun est conduit à se replier sur des valeurs individualistes, dans une sorte de deuil de tout avenir collectif : « pwotestan pa mele ak katolik ak vodouyizan ». ce, en vertu d’un principe affirmé dans le psaume premier : « heureux l’homme qui ne marche pas selon les conseils des méchants et qui ne s’assied pas accompagné des moqueurs ».
L’Etat, pour sa part, rend la population zombi. Il n’agit pas dans l’intérêt de finir avec les inégalités sociales et économiques. Toute la richesse de la dite nation est confisquée entre les mains d’un petit groupe. On ne fait rien pour réconcilier la bourgeoisie avec l’impôt. Ce qui engendre la montée en puissance de l’économie souterraine favorable aux bourgeois. Une situation qui ne cesse de creuser encore plus le fossé entre la bourgeoisie et la grande masse qui ne fait que s’accroupir dans la misère la plus criante avec un Produit Intérieur Brut qui ne peut même répondre aux besoins primordiaux.
Tout se vend à la hausse des prix, même le sel. A chaque cri lancé, on ne fait que réduire un peu le prix du riz et rien d’autre. Ceci prouve la condamnation de la masse à se nourrir comme on nourrit les zombifiés de la sorcellerie. A ce niveau, au lieu de répondre aux besoins de la population, l’Etat constitue lui-même le voleur qui lui pille et le vampire qui sucent son sang. Ainsi, Marcelin a écrit : « Mais comment admettre que quotidiennement des ministres sans vergogne sucent impunément le plus pur sang du peuple ? Comment admettre que sans relâche, des vampires anémient ainsi la nation jusque dans sa moelle ? » (20). En outre, l’Etat rend légitime l’exploitation et la zombification de la population en utilisant les appareils coercitifs de l’Etat pour faire respecter la domination. On ne peut se permettre de revendiquer ses droits sans être maltraité, emprisonné et même tué par les forces de l’ordre et d’autres groupes armés à cet effet.
Conclusion
En tout état de fin, le dispositif de zombification en Haïti, est ce qui réduit l`Haïtien à vivre au confinement de son ventre. Cette pratique est mise en évidence par le système capitalisme, qui est la résurgence du système esclavagisme sous une nouvelle forme et dénomination. Elle est matérialisée par le travail et le racisme. Ce qui produit au sein de la société haïtienne des insignifiants, des invisibles, des êtres apparemment dits des ayants droit. Le sauvegarde de ce phénomène est assuré, d’un coté, par l’Etat, et de l’autre, par la religion.
En réalité, les Haïtiens sont déshumanisés et exclus de l’espace d’existence. ils vivotent. Et malgré sa situation alarmante, ils restent et demeurent le grand visible invisible par extension zombis. Sans la volonté manifeste de l’Etat, ils sont placés dans l’espace social vide, écrit Badie (21). Autrement dit, ils sont placés dans un espace social en absence de l’Etat et des services sociaux de base. De ce fait, ils sont vampirisés. A cet effet, la zombification, l’invisibilité dans laquelle se trouve l’être haïtien, produit chez lui de la souffrance puisqu’elle met l’Haïtien dans une situation de non-être. Cette souffrance se situe entre l’être et le non-être dans le sens que l’être est en difficulté de s’exprimer et est enfermé dans le non-être.
Face à ces obstacles, la révolution est tout au moins la seule voie ou l’unique alternative des zombis. Trouillot, dans ces écrits, nous fait rêver de l’obligation de ce bond vers l’avant que de se lamenter en écrivant : « … nous devons apprendre à penser contre nos doutes et contre nos certitudes, contre nos humeurs omniscientes, nous devons surtout, en nous forgeant une autre mort, une mort incompatible avec nos charognes, consentir à l’indémontrable, à l’idée que quelque chose existe.. » (Cioran : 247). Franketienne, pour sa part, tient la même lignée en écrivant : « lèvres fanés par la faim, n’attendons pas la manne céleste. Brisons le cercle de l’inertie. Brasons le vent dans le cirque des villes. Pour ne plus être tentés de renouer avec la passivité casanière, démantibulons nos chaises, démolissons nos lits » (Les affres d’un défi). Plus loin de nous, Axel Honneth a aussi cette approche en écrivant : « seule la lutte libère » (22). Donc, nous devons lutter contre nos égoïsmes et contre le système.
Auteur
Rodney Pierre,
Etudiant en Sciences Politiques/Campus Henry Christophe de Limonade (UEH),
Juriste
Note de bas de page
1. Laennerc Hurbon, Pour une sociologie d’Haïti au XXIe siècle, la démocratie introuvable, éditions KARTHALA, Paris, 2001, p.37
2. Voir esclave= facteur de production. L’économie politique de l’esclavage, s.d. de S.W. Mintz, tr.J. Rouah, Paris, 1981
3. Note prise lors de la séance de cours présentée par Prof. Edelyn Dorismond a la licence II de science politique au Campus Henry Christophe de Limonade.
4. Cette affirmation se fait en référence à la convention relative à l’Organisation Internationale du Travail (OIT). Laquelle convention fixant le fonctionnement et l’organisation du travail à une standardisation internationale.
5. Laennerc Hurbon, Opcit, p.30
6. Sur ce sujet, voir Edelyn Dorismond, Critique caribéenne de la raison capitaliste. Le fantôme de la société haïtienne et la philosophie comme exorcisme, 2019 et Michelle LABELLE, Opcit, p.8
7. Micheline Labelle, S. Larose et D. Holly, « L’émigration haïtienne, un problème national, dans Collectifs Paroles, no 2, 1979, p.18-26
8. S. Sassen-koob, « The international circulation of resources and development: The case of migrant labour », dans Development and change, Vol. 9, 1978, p.538-539.
9. Alexandre-Stanislas de Wimpfen, Haïti au XVIIe siècle, richesse et esclavage dans une colonie française, édition présentée et annotée par P. Pluchon, Karthala, 1993, p.75
10. Ibid; p. 76-77
11. Laennec HURBON, Opcit
12. Karl MARX, Manifeste du parti communiste, in son introduction, PUF, Paris.
13. Denis Monière, Introduction à la théorie politique, version électronique réalisée par Jean-Marie Tremblay
14. Laennec HURBON, Opcit, p.206
15. Edelyn Dorismond, opcit, p.14
16. Franck Degoul,” Du passé faisons table hôte : le mode d’entretien des zombis dans l’imaginaire haïtiens et ses filiations historiques”, Ethnologies, vol.28, no 1, 2006 cité par Prof. Edelyn Dorismond in Critique caribéenne de la raison capitaliste. Le « fantôme » de la société haïtienne et la philosophie comme exorcisme, p.14
17. Ce, en référence aux discours coloniaux.
18. Achille Mbembe, Critique de la raison Negre, Paris, La Découverte, 2013, p.73
19. Jean Luc, Essai Structures économiques et luttes nationales populaires en Haïti, cité par Micky-love Mocombe dans son article intitulé Les humanités subalternes
20. Marcelin FREDERIC, Thémistocle Epaminondas Labasterre, éditions Fardin, Port-au-Prince, Haïti, 1999, p.95
21. Bertrand Badie, L’Etat importe. L’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, 1992
22. Axel HONNETH, La lutte pour la reconnaissance, traduit par Pierre Rush, un vol. 14.5X 23.5 de 232 pp. Paris, éditions du cerf, p. 145








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