De la Guerre des Idées à la Critique de la Science Infirmière en Haïti « Il faut défendre la société » - Partie 2 Un texte de Jean Louis Butherly, étudiant haïtien — Mars 2019 Introduction
De la Guerre des Idées à la Critique de la Science Infirmière en Haïti
« Il faut défendre la société » - Partie 2
Un texte de Jean Louis Butherly, étudiant haïtien — Mars 2019
Introduction
Faut-il considérer que la science infirmière en Haïti ne sert qu’à entériner des rapports de maladies ? Ou pire, qu’elle poursuit, sous une autre forme, la mission des étrangers dans la transmission et la gestion des maladies ? Cela reviendrait à inverser la célèbre formule de mon vieux maître R.C., qui, dans son cours "Texte, Sens et Contexte" à l’université, expliquait que la mission des infirmières était une continuation de la politique médicale par d’autres moyens.
Penser ainsi remet en cause la conception traditionnelle de la médecine comme un contrat entre un malade et un thérapeute. Au lieu de cela, il s'agirait de l'appréhender comme un rapport de force inscrit dans une guerre réelle, sociale et institutionnelle.
Une formation médicale douteuse
En Haïti, tout pouvoir médical, toute formation dans ce domaine, apparaît de plus en plus douteux. Le rapport entre un malade et un soignant devient ainsi le prolongement d'un affrontement social permanent.
À travers ce texte, je veux dénoncer la médiocrité actuelle de la formation infirmière en Haïti : il faut arrêter la prolifération des "chenilles" — ces formations superficielles, sans structure solide, sans véritables stages hospitaliers, sans laboratoires fonctionnels. La vie humaine est en jeu.
Trop de jeunes, mal formés, obtiennent un diplôme sans compétences réelles. Cela représente un danger pour la société.
Ce texte n'est pas une critique issue d’un conflit ponctuel entre soignant et patient, mais une dénonciation d’un système permanent d'ignorance qui traverse nos institutions de santé.
Dans les écoles d'infirmières haïtiennes, souvent sans hôpitaux partenaires sérieux, la formation se réduit à une caricature : il suffit d’avoir des moyens financiers pour accéder au diplôme. La compétence n’est plus une exigence, seulement un luxe.
Cette situation fragilise la santé publique et accroît la méfiance populaire envers les soignants.
La guerre des idées et la dégradation sociale
La guerre des idées — entre idées révolutionnaires et idées conservatrices — ne s'est pas éteinte au XIXe siècle. Elle a été récupérée par l'État haïtien sous forme de racisme d’État et de biopouvoir, selon l’expression de Michel Foucault.
En Haïti, depuis la colonisation jusqu’à aujourd’hui, une division sociale profonde — entre noirs et mulâtres — a perduré. Cette division a trouvé un prolongement dans le domaine de l'éducation et de la santé, où l'accès à la qualité reste réservé à une minorité favorisée.
L’élite a construit un système scolaire élitiste, réservé à quelques-uns, au détriment de la majorité. Certaines institutions religieuses ou privées pratiquent une sélection sociale déguisée : elles donnent une éducation de qualité à une élite triée sur le volet, tout en marginalisant les autres.
Ce mécanisme de discrimination scolaire est directement lié à la marginalisation médicale : l’éducation et la santé sont devenues des armes de pouvoir, et non des droits fondamentaux pour tous.
Historiquement, la colonisation a modelé un récit pour justifier son pouvoir : en glorifiant l’histoire des "grandes familles" ou des "héritiers légitimes", et en reléguant les esclaves et leurs descendants au statut d'êtres inférieurs, sans droits.
La domination coloniale se poursuivait par l'imposition d’un discours historique biaisé, faisant croire que les Haïtiens n’étaient que des "sous-hommes" issus de peuples sans histoire, réduits à la servitude.
L'esclavage, crime contre l’humanité, a laissé des séquelles profondes dans la structure sociale et mentale de notre pays.
L'idée que certaines personnes n’auraient pas droit à l’éducation, à la santé, ou à une vie digne trouve son origine dans cette idéologie coloniale.
Aujourd'hui encore, certaines élites haïtiennes continuent inconsciemment ou volontairement à perpétuer ce système d’exclusion.
Conclusion
Le système médical haïtien actuel, et en particulier la formation infirmière, est l’une des manifestations modernes de cette guerre historique.
Face à cette situation alarmante, il faut défendre la société, c’est-à-dire lutter pour un système de santé et d’éducation plus inclusif, plus juste, plus compétent.
L’avenir d’Haïti dépend de la capacité de ses institutions à rompre avec l'héritage de l'exclusion, pour construire une nation basée sur la compétence, la dignité, et l’égalité de tous.
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