Terrier-Rouge son histoire avec Boomba Libertaire le médecin de la Culture Haïtienne

 


Terrier-Rouge : Terre d’histoire, de lutte et de culture dans le Nord-Est d’Haïti

Par Jean Louis Butherly
Le Médecin de la Culture Haïtienne

Terrier-Rouge, appelée en créole haïtien Tèrye Wouj, est une commune du département du Nord-Est d’Haïti,. Son nom évoque la couleur rougeâtre de ses terres, fertiles et riches, propices à la culture depuis des siècles. Cependant, derrière cette appellation aux teintes de terre brûlée, se cache une histoire complexe, faite de luttes, de transformations sociales, de résistances, et d'une culture vivante qui ne cesse d'étonner ceux qui s’y attardent.

I. Des origines autochtones à la période coloniale

Bien avant la fondation de la commune, le territoire de Terrier-Rouge faisait partie de l’aire de peuplement des Taïnos, les premiers habitants des Grandes Antilles. Ces peuples pacifiques vivaient de la pêche, de l’agriculture et de l’artisanat, tissant un lien sacré avec la terre. Les noms des rivières et des lieux, tels que Caracol ou Massacre, gardent encore aujourd’hui les traces sonores de cette civilisation anéantie par l’arrivée des Européens.

Avec la colonisation espagnole, puis française, la région devient progressivement un centre de production agricole, notamment pour le café et la canne à sucre. Le sol rouge du territoire, riche en fer, rendait les plantations fertiles. On y bâtit une chapelle dès 1701, signe que la localité était déjà organisée autour d’un foyer de foi et d’activités humaines constantes. La paroisse fut officiellement fondée dans les années 1710, avant d’être reconnue comme commune en 1881.

II. Une terre de lutte : le soulèvement contre l’occupation américaine

L’histoire de Terrier-Rouge est aussi marquée par sa participation à la résistance nationale. L’un des épisodes les plus significatifs remonte à 1915, année du début de l’occupation américaine en Haïti. Cette présence militaire étrangère, perçue comme une humiliation par de nombreux Haïtiens, suscita de vives réactions dans tout le pays. À Terrier-Rouge, le colonel Étienne, fils du terroir, mena un soulèvement symbolique contre les forces d’occupation. Ce mouvement, bien que réprimé, reste dans la mémoire collective comme une manifestation du patriotisme local.

III. Croissance et économie locale

De par sa situation géographique, à proximité de l’océan Atlantique, et son ouverture sur les plaines agricoles, Terrier-Rouge a développé une économie tournée vers l’agriculture. La culture du maïs, du pois-congo, de la patate, du manioc et du sisal a longtemps assuré la subsistance des familles. À cela s’ajoute l’activité artisanale et mécanique qui a fleuri avec le temps : de nombreux habitants pratiquent la mécanique, si bien que la commune est surnommée aujourd’hui la Ville des Garages Mécaniques.

Dans les années récentes, on a vu apparaître quelques projets d’infrastructures, notamment la construction de logements sociaux en 2016, dans le cadre d’un projet national d’habitation. Toutefois, la commune souffre encore d’un manque d’infrastructures modernes et de services publics solides, surtout en matière de santé, d’éducation et de routes.

IV. Une vie culturelle riche : entre catholicisme et Vodou

La culture de Terrier-Rouge est le reflet d’Haïti : un syncrétisme entre traditions africaines, héritage colonial européen et influences amérindiennes. La commune célèbre plusieurs fêtes patronales chaque année : le 11 février (Notre-Dame de Lourdes), le 29 juin (Saint Pierre) et le 1er octobre (Sainte Thérèse). Ces moments de liesse populaire donnent lieu à des messes, des processions, des bals populaires et des rassemblements de familles dispersées.

Mais au-delà du catholicisme, le Vodou est profondément enraciné dans les mœurs de la population. Dans les années 1890, une confrontation célèbre opposa l’abbé Dumas à une mambo puissante nommée Kolane, illustrant les tensions entre l’Église catholique et les pratiques religieuses traditionnelles. Cet épisode, relaté dans les archives locales, montre combien le Vodou a résisté à l’effacement imposé par l’évangélisation coloniale.

V. Éducation, radio, jeunes et organisations sociales

Terrier-Rouge dispose aujourd’hui de plusieurs établissements scolaires publics et privés, malgré la faiblesse des infrastructures. Le Lycée National de Terrier-Rouge, entre autres, joue un rôle crucial dans la formation de la jeunesse, bien que confronté à un manque cruel de ressources pédagogiques, d’enseignants bien formés et de soutien gouvernemental.

La commune est également animée par des radios communautaires (Radio Zénith, Radio Espérance), des groupes de jeunes, des clubs culturels, des églises, et une diaspora active qui envoie régulièrement des aides à leurs familles restées sur place. Des intellectuels comme Luc Sénatus, originaire de Terrier-Rouge et ancien conseiller de François Duvalier, montrent que la commune a produit des figures notables, tant dans les sphères politiques que littéraires.

VI. Géographie et composition administrative

La commune de Terrier-Rouge couvre une superficie de 171,22 km² et se situe à environ 36 mètres d’altitude. Elle est bordée :

au nord par l’océan Atlantique,

à l’est par Fort-Liberté,

au sud par Perches,

et à l’ouest par Trou-du-Nord et Caracol.

Elle est divisée en deux sections communales : Fond-Blanc et  Jadis Grand-Bassin maintenant Commune,  chacune possédant ses propres localités, zones agricoles et marchés. Selon les estimations de 2009, la population de Terrier-Rouge s’élevait à environ 27 577 habitants, un chiffre probablement dépassé aujourd’hui.

Aujourd’hui, la commune fait face à de nombreux défis : pauvreté, accès limité à l’eau potable, rareté des services de santé, décrochage scolaire, exode massif des jeunes vers les villes ou l’étranger, notamment via des programmes humanitaires comme Humanitarian Parole. Pourtant, une jeunesse résiliente, des éducateurs engagés, des agriculteurs tenaces et des artistes déterminés œuvrent chaque jour pour améliorer la vie dans la commune.

Des initiatives telles que Edulec Espace Créative, les concours scolaires, la valorisation de la mémoire historique locale, et la création de coopératives agricoles sont des signaux positifs vers un avenir meilleur. Terrier-Rouge a une histoire, un peuple et un potentiel qui méritent d’être connus, reconnus et soutenus.

Conclusion

Terrier-Rouge, c’est plus qu’une commune du Nord-Est : c’est un espace de mémoire, de résistance, de création et de continuité. Ses collines rouges, ses fêtes patronales, ses héros oubliés, ses écoles négligées mais vivantes, racontent l’histoire d’un peuple qui refuse de s’effacer. Il est temps que l’État haïtien, les acteurs de la société civile et la diaspora unissent leurs efforts pour redonner à cette commune la place qui lui revient dans le récit national. Car, comme le disait si bien l’historien Jean Price-Mars : « Toute localité a sa valeur, si on apprend à la regarder avec les yeux de l’Histoire. »


📚 Références

Gouvernement de la République d’Haïti. (2009). Population totale, de 18 ans et plus, ménages et densités estimés en 2009. Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI). http://www.ihsi.ht

Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales (MICT). (2015). Monographie de la commune de Terrier-Rouge.

Jean-Louis, B. (2023). Terrier-Rouge, mémoire et avenir d'une commune oubliée. Stilboomba Blogspot. https://stilboomba.blogspot.com

Sénatus, L. (1982). Discours et fragments politiques sous Duvalier. Archives personnelles.

Bibliothèque Nationale d’Haïti. (s.d.). Histoire des communes du Nord-Est d’Haïti (manuscrit consulté en ligne).

Radio Espérance FM. (2022). Entretien sur l’histoire de Terrier-Rouge avec Jean Louis BUTHERLY. Archives sonores communautaires.





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