« 109 712 élèves sont attendus pour les épreuves du baccalauréat haïtien, prévues le 15 juillet 2025. »
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La déchéance de l’Éducation nationale : une crise silencieuse mais profonde
L’éducation, pilier fondamental du développement humain, économique et social, est aujourd’hui en Haïti le théâtre d’un effondrement lent, douloureux et alarmant. Jadis considérée comme un outil d’émancipation individuelle et collective, elle est aujourd’hui victime d’un abandon progressif par l’État, d’un désintérêt généralisé de la société, et d’un système qui peine à se réinventer. La déchéance de l’éducation nationale ne se limite pas à l’usure des bâtiments scolaires ou à l’insuffisance des ressources ; elle est surtout structurelle, morale et symbolique. Elle traduit un échec collectif : celui de bâtir une nation où l’école est au cœur du projet de société.
L’un des symptômes les plus visibles de cette déchéance est la massification sans qualité. Chaque année, des centaines de milliers d’élèves s’inscrivent dans des établissements scolaires publics ou privés, mais peu d’entre eux atteignent un niveau satisfaisant de maîtrise des compétences de base. L’État semble se contenter de chiffres : nombre d’inscrits, taux d’alphabétisation approximatif, effectifs au bac. Mais derrière ces statistiques se cache une vérité brutale : des élèves qui ne savent pas lire correctement à 12 ans, qui échouent massivement aux examens officiels, et qui quittent le système scolaire sans qualifications solides.
Cette situation est aggravée par le manque criant de formation et de valorisation du personnel enseignant. Dans de nombreuses écoles publiques, des enseignants sous-payés, non formés ou précaires tentent de remplir leur mission sans moyens didactiques adéquats, sans accompagnement pédagogique, et souvent sans même percevoir un salaire régulier. Comment exiger d’un professeur qu’il forme les leaders de demain alors que lui-même vit dans la misère, travaille dans des conditions déplorables et n’a reçu aucune formation continue depuis sa nomination ? L’enseignant, censé être le pilier du système éducatif, est devenu une figure abandonnée, un maillon faible dans une chaîne déjà fragilisée.
L’Éducation nationale souffre également d’un décalage profond entre les programmes scolaires et la réalité du pays. Le contenu enseigné reste souvent hérité de schémas coloniaux ou étrangers, peu adaptés au contexte haïtien, aux défis locaux ou aux besoins de la jeunesse. L’école ne prépare pas à la vie, à la citoyenneté active, ni à l’insertion socio-professionnelle. Elle forme des élèves à réciter, non à penser ; à se soumettre, non à innover. Les sciences, les arts, les technologies, l’éducation civique ou environnementale sont relégués au second plan, au profit d’un formalisme stérile. Cette déconnexion contribue à un désintérêt croissant des élèves, qui ne voient plus dans l’école une voie de salut, mais un lieu d’ennui ou d’échec.
À cela s’ajoute la privatisation rampante et l’inégalité d’accès. Dans les zones rurales, les écoles publiques sont rares, mal équipées, voire inexistantes. Dans les villes, les écoles privées prolifèrent, mais à des coûts inaccessibles pour la majorité. Ainsi se creuse un gouffre entre les enfants des familles aisées, qui accèdent à un enseignement de qualité, souvent en français, et ceux des familles pauvres, confinés à des établissements précaires, avec des enseignants absents ou incompétents. L’école, qui devrait être un facteur d’égalité, devient un puissant moteur de reproduction des inégalités sociales.
Enfin, il faut souligner le manque de volonté politique réelle pour transformer le système éducatif. Les discours officiels sont souvent creux, les réformes incohérentes ou mal appliquées, et les budgets alloués à l’éducation insuffisants. Le ministère de l’Éducation nationale, miné par la bureaucratie, les conflits d’intérêt et parfois la corruption, n’a pas su engager les chantiers urgents et nécessaires. Sans vision claire, sans planification rigoureuse, sans implication des acteurs de terrain (enseignants, parents, élèves, communautés), toute tentative de réforme est vouée à l’échec.
La déchéance de l’éducation nationale est donc à la fois le miroir d’un pays qui ne croit plus en lui-même et le symptôme d’un système politique et social en perdition. Mais elle est aussi un appel à l’action. Car tant que l’école sera malade, aucune société ne pourra espérer guérir. Redonner à l’éducation sa dignité, son pouvoir, son sens, c’est reconstruire la nation depuis ses fondations. C’est refuser de sacrifier encore une génération sur l’autel de l’indifférence.
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