Quand l’éducation s’excuse de vouloir vivre Par Jean Louis Butherly Nous sommes tombés au plus bas de l’échelle humaine.
Quand l’éducation s’excuse de vouloir vivre
Par Jean Louis Butherly
Nous sommes tombés au plus bas de l’échelle humaine.
Lorsqu’une institution scolaire en vient à exiger de ses professeurs des excuses simplement parce qu’ils ont osé demander une augmentation de salaire, c’est que la conscience collective a atteint son point le plus bas.
Ce geste, en apparence banal, révèle une blessure profonde dans le tissu moral de notre société : le mépris de ceux qui éduquent.
L’école devrait être un sanctuaire de respect, un lieu où l’on élève les esprits et non où l’on écrase les âmes. Pourtant, dans certaines institutions de notre pays, l’enseignant est réduit au silence, considéré comme un simple exécutant que l’on peut manipuler à volonté. On oublie qu’avant d’être un travailleur, il est un bâtisseur d’avenir, un artisan de la lumière.
C’est par lui que passent les rêves, les idées, la culture, la pensée. Et pourtant, il doit s’excuser d’avoir faim, d’avoir soif de dignité, de vouloir simplement vivre de son métier.
Réclamer un salaire juste n’est pas un crime. C’est un droit.
Mais en Haïti, ce droit devient souvent une faute morale, un affront contre le système.
L’enseignant qui ose parler devient un rebelle ; celui qui se tait devient complice de sa propre misère.
Ainsi, beaucoup vivent dans la peur de perdre leur poste, même s’ils savent que ce poste ne leur garantit ni respect, ni sécurité, ni avenir.
Comment comprendre qu’un professeur, pilier de la société, doive s’excuser pour avoir revendiqué un peu plus de considération ?
Comment peut-on exiger des excuses à celui qui passe ses journées à former les citoyens de demain, à éveiller les consciences, à combattre l’ignorance avec si peu de moyens ?
C’est une insulte à la mission éducative, une offense à la dignité humaine.
Le drame, c’est que ce comportement ne vient pas seulement des dirigeants politiques, mais souvent de ceux qui partagent la même souffrance : des responsables d’école, parfois eux-mêmes enseignants, qui reproduisent la domination qu’ils ont subie.
C’est ainsi que le système se perpétue : l’humilié devient à son tour l’humiliateur.
Et l’école, au lieu d’être un espace de liberté et de solidarité, devient un lieu de hiérarchie, de peur et d’injustice.
Pourtant, l’éducation ne peut pas s’épanouir dans la peur.
Un enseignant humilié est un savoir blessé.
Un enseignant qu’on fait taire est une vérité qu’on enterre.
Un enseignant qu’on affame est une société qu’on condamne à l’ignorance.
Les professeurs ne demandent pas la charité ; ils réclament la justice.
Ils veulent pouvoir vivre de leur métier, subvenir à leurs besoins, nourrir leurs enfants, continuer à apprendre, à lire, à se former. Car on ne peut pas enseigner la grandeur de l’esprit quand on est écrasé par la misère matérielle.
La dignité de l’enseignement, c’est aussi la dignité de la nation.
Un pays qui humilie ses professeurs prépare sa propre ruine morale.
À ceux qui pensent qu’un professeur doit se taire, je réponds ceci :
Un enseignant silencieux, c’est une génération condamnée à l’ignorance.
Un enseignant révolté, c’est une génération prête à comprendre le monde et à le transformer.
Car c’est dans la bouche du professeur que commence la liberté.
Et c’est dans son regard que naît l’espérance.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons redonner sens au mot respect.
Respect pour celui qui enseigne, pour celui qui explique, pour celui qui corrige, pour celui qui croit encore à la puissance du savoir malgré toutes les humiliations.
L’école doit redevenir un espace de dignité partagée, où la parole de l’enseignant a du poids, où son engagement est reconnu, où sa vie compte.
Ce n’est pas d’excuses que les professeurs doivent faire, mais d’excuses que la société doit leur présenter.
Excuses pour l’indifférence.
Excuses pour la pauvreté imposée.
Excuses pour la solitude dans laquelle on les laisse.
Car sans eux, aucun avenir n’est possible.
Et si nous continuons à mépriser nos enseignants, nous serons bientôt une nation sans repères, sans valeurs, sans flamme.
Commentaires
Enregistrer un commentaire